Le Chemin boréal
Je fais partie de ceux qui ont emprunté dès leur jeune âge, le coeur en bandouillère et le mollet gaillard, le chemin boréal et spiralé de la Quête. Qui ont fait et refait les mêmes prières en langues diverses, grimpé le long des chemins ardus des ascèses et dévalé en riant les vallées heureuses des extases. Avec dans le coeur toujours le même mantra palpitant et pathétique : pourquoi ? J'ai médité en dhoti au bord du Gange, vivant dans un petit ashram, fasciné par les saddhus et les forêts imaginales et mythologiques indiennes. J'ai parcouru, halluciné de lectures et d'expériences rocambolesques les cités grouillantes, les villages ingénus, les temples redondants et les centres spirituels. J'ai prié dans des zaouias soufies au Moyen Orient et en Mauritanie, le coeur emballé par l'appel matinal des mosquées qui réverbère, dans l'aube du monde visible, le verbe opalescent de l'Unique. Les assemblées d'oraisons et de dhikrs nocturnes sous la coupole des étoiles ont régalé mon âme de célestes pâmoisons. J'ai été serviteur et disciple de plusieurs Maîtres, tantôt tantriques, tantôt védantiques, souvent d'écoles opposées, portant leur mallette et assistant avec dévotion à leur vie consacrée. Je suis resté des journées auprès du Samadhi de Sri Aurobindo, à Pondichery, et lors de voyages oniriques me suis rendu souvent au Mausolée de Ibn Arabi à Damas. J'ai résidé à Jérusalem la kabbaliste dans toutes les conditions, hébergé par des chrétiens arméniens, des palestiniens et des juifs sionistes. J'ai flotté, assis sur la mer morte en songeant aux légions romaines et aux rouleaux de Qumran. Mais mon mantra du "Pourquoi" a toujours été assorti d'une condition : ne pas accepter la clôture d'une démarche exclusive et fermée.
Dès qu'un Maître m'annonçait que Sa Voie était la seule Véridique je ne tardais pas à reprendre mes cliques et mes claques et à repartir pour un autre chapitre de l'histoire. A quoi bon en effet se consacrer à une quête d'universalité et d'ouverture pour s'enfermer dans une secte, une église, un message bornant le Réel à lui même et ne se donnant comme horizon que le sien ? C'est au coeur de la savane africaine, dans l'or d'un matin ordinaire que j'ai compris qu'en chacun de nous se levait le soleil du monde à venir.