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Libérer nos créolités maghrébines !


 

Notre rôle est de fouiller dans l'imaginaire et la langue, provoquer toutes les sortes de voyages possibles, utiliser le poétique, le narratif, le philosophique, le romanesque et dépasser tous les cloisonnements...

...Il est incroyable de constater combien de personnes appartenant à des lieux différents de la planète pensent la même chose, posent les mêmes questions au même moment. Tout est dans l'air. Notre plus urgente exigence est celle de l'invention. C'est notre seule parade contre les systèmes et les idéologies. Edouard Glissant

 

Je travaille actuellement à vif sur cette notion de créolisation dont Edouard Glissant s'est fait le chantre et la voix éminente. J'aime cette voix fraternelle et colorée du Tout-monde. Elle me fouaille et me laboure et me régénère.

J'essaie de la faire mienne, de la digérer, la mâcher, car elle est, il me semble, une issue à la tension intérieure qui traverse l'archipel des diaspora maghrébines qu'elles soient au pays ou à l'étranger.

Une tension qui traverse le dehors et le dedans de nos êtres bardés de cicatrices et de ressentiments, acculés aux assignations nationales, et aux imprécations intérieures de la Oumma. Comment en sortir ?

Comment être fidèle à ses origines quand elles sont multiples et que les terroirs culturels d'adoption sont autant de racines que nos bleds ? Comment être fidèle à sa nation, à son pays, à ses parentés quand on habite plusieurs nations et qu'on est fait de plusieurs racines religieuses et de plusieurs mondes ? Comment être européen, maghrébin et africain en même temps ? Comment être taoiste, passionné de yoga, féru de philosophe... et de culture musulmane apaisée ?

Je suis prêt de penser que ce noeud inextricable de tensions impossibles et inconciliables à priori est la cause des causes de nos maux ? Ces tensions nous prennent en otage de l'ombre de notre histoire officielle et nous attache dans une relation perverse à la toute puissante Oumma pathologique, monstre surgit de nos fantasmes confits de honte et de l'impuissance des autorités religieuses qui nous enferme d'années en années dans la camisole d'une folie sociale jusqu'à nous faire égorger des moutons par lâcheté intérieure ?

Et si la créolisation comme espace d'individuation et de création de sens à l'intérieur d'une aire géoculturelle/spirituelle plurielle nous permettait de comprendre notre histoire et notre islamité autrement ?

Je fais ce travail à partir de mon expérience et à la barbe de toutes les assignations. Je travaille disais-je, je malaxe, pétris cette pâte que "je suis en tous sens". Marocain, français, espagnol, berbère, arabe, africain, européen, et qui sait nichée dans les tréfonds de mon âme une parcelle de judaïté clandestine ?

Pourquoi suis-je si mal à l'aise et pourtant si bien dans le topos culturel maghrébin ? D'où vient mon malaise avec les miens ? Pourquoi me parait si fort le décalage des conventions sociales encore féodales, saturées d'hypocrisie et que j'éprouve comme des espaces d'insincérité ? Et pourtant tant de beauté, de don de soi, de bienveillance et d'hospitalité irriguent ce corps malade dont je partage la condition mais dans le refus d'y être consigné ?

Comment vivre dans une société maghrébine dont la hantise est de ne produire que du même et du semblable ? Pourquoi le décalage du développement technique me semble-t-il autant lié au blocages culturels et sociétaux ?

Pourquoi tant d'académisme mimétique, tant de crispation dans les statuts alors que nous entrons dans un monde de décloisonnement, de transversalités, mais aussi dans un monde de savoirs coopératifs et de mutualisation des intelligences ?

Comment sortir de la hantise de la trahison culturelle, sociale, religieuse incarnée par cette Oumma déformée, omniprésente et castratrice de nos singularités ? Pourquoi les tentatives de "refondation islamique", de Renaissances islamiques, d'Islam des Lumières semblent tétanisées de conformisme, bloquées sur le rail rigide des conventions anthropologiques et politiques, enfermées dans une bien- pensance théologique décatie, pauvre, si peu en phase les attentes des sociétés. Qu'elles livrent ainsi aux radicaux, aux drogues, au football, aux dépressions ou à la fuite ?

Pourquoi le monde islamique est -il frappé de stérilité scientifique et technique ? Pourquoi les sciences prospectives y sont-elles invisibles ? Pourquoi n'y pensent-on pas l'homme augmenté, l'intelligence artificielle et les futures établissements sur des exoplanètes en regard d'une nouvelle propective islamique ?

Pourquoi puis-je être si naturellement bien dans un salon familial marocain, une terrasse du bled avec les vieux joueurs de dames, mais aussi tellement en joie dans les routes/pistes du Burkina Faso parmi le beau peuple sahélien ? Comment puis-je me sentir aussi bien sur les pavés de Paris que dans une famille indienne de Chennai en Inde ?

Peut-on concilier le fait d'avoir effectué l'école coranique en France et être l'enfant de la révolution française ? Etre passionné du Mahabharata indien, des cultures déistes et animistes africaines tout autant que des envolées mystiques de l'Unicité de Ibn Arabi ?

Après tant d'années à me tourner d'un coté ou d'un autre comme autant de versants opposés de mon être, à cultiver ces champs qui se donnent le dos, j'ai décidé de régler cette questions.

Et dans le ciel de mes éclairs créatifs j'ai trouvé cette idée de créolisation et celui qui l'avait si bien couronnée de mots et de sens et d'humanité : notre cher Edouard Glissant.

Je travaille à présent ces questions depuis ce lieu où se tient l’ambiguïté de mes appartenances. Depuis toutes ces années de débats intérieurs entre des légitimités contraires, des assignations bardées de hallalités et des émancipations comme autant de fuites à ce qui serait ma culture islamique paternelle et légitime.

Avec mot-clé de la créolisation j'ai trouvé la formule passe-partout de mon être qui en déverrouille toutes les portes et les battants séparateurs, qui ouvre à la beauté des grands archipels de mes appartenances/résonnances. Qui déploie les voiles des labilités de mon être-multiple en création constante et à la fécondité débridée. Voilà la clé de nos diasporas créatives du Grand Maghreb. C'est quand on est fidèle à soi-même qu'on devient fidèle aux autres et au monde - et plus fidèle au siens. Ce n'est pas en se sabrant de l'intérieur, en devenant le manichéen et le traître de soi-même pour ressembler à tous les mêmes qui nous rétrécissent dans la haine de soi. Mais c'est ouvrant notre table à l'autre qui est en nous. A cet étranger dont l'ombre nous hante car nous ne savons plus laccueillir en notre for intérieur.

Nos racines sont celles de l'humanité. Et nos terres du Maghreb qui furent parmi les premières à être foulées par l'homo-sapiens regorgent de futurs en émergence.

Donnons la chance à ces futurs et à ces diasporas diaprées de diversité et de langues et de cultures. Et pour cela mettons au pluriel les termes marocanités et maghrébités : nous donnerons des ailes créatrices à ces mots et à ceux qui les portent !

 

On trouvera dans le fil de cette petite introduction des séries de textes plus théoriques et d'autres textes plus libres voir poétiques !


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