Journal évolutionnaire du 4/09/24 - Soleil et verdoyances
J'étais hier au jardin, par un temps pluvieux et frais, après une longue période de chaleur. Une bonne heure de route à travers le Gaillacois, puis l'Albigeois, pour retrouver, au cœur du Ségala, le bourg de Canezac, son robuste clocher et la bonne humeur de Charly, l'heureux propriétaire du domaine de Nougayrié. Charly, retraité octogénaire toujours sur son tracteur, est toujours aussi débonnaire, chaleureux et bienveillant. Il a ce regard pétillant et malicieux qui rend sa compagnie si agréable.
C'est toujours avec une certaine jubilation que je retrouve ces lieux magiques qui ont vu naître et grandir le père de Balzac... Après un verre de concentré de gingembre au citron et une discussion avec Charly, je dévale la pente qui mène au jardin pour les retrouvailles avec ce monde végétal qui m'émeut tant ! Les plantes se pâment, imbibées, gorgées d'eau, comme ivres, après des semaines d'un rude soleil. Les feuilles des blettes, des salades, des betteraves, le persil, les patates douces ont repris un lustre brillant. Chez les courgettes, aux grandes feuilles roussies par la chaleur des derniers jours, on se redresse et on se relance à tour de bras dans la manufacture phénoménale de leurs fruits oblongs.
J'aime l'agencement de jardin qui accueille une grande variété et dispose au regard poétique et buissonnier. On s'y promène avec une curiosité en éveil. C'est une des particularités de bons potagers/vergers, jardins-forêts que de susciter cette piqûre de l'attention. Ces jardins nous interpellent, et, si l'on est réceptif, on comprend vite que l'on peut entrer "en résonance" avec leurs univers.
C'est ce qui m'a marqué aujourd'hui. J'ai passé une grande partie de mon temps à contempler, admirer, apprécier les singulières beautés du potager.
Rien de plus commun que des carottes, des courgettes, des betteraves, des blettes, des tournesols, quelques arbres fruitiers...tout ce petit peuple des potagers que l'on voit sans vraiment les regarder. Mais il suffit d'un petit décalage sensible du regard. Celui qui ouvre, subrepticement, à une qualité de connivence et d'attention particulière. Celui qui nous permet d'accueillir l'étrangeté et l'altérité des espèces "familières". On commence à voir et explorer les architectures végétales, la variété de coloris, les fragrances, les modes de fructification... Tout l'univers commun du potager se métamorphose à notre regard et devient une source inépuisable de symboles et de métaphores. On comprend alors que le jardin n'est pas un lieu anodin, mais bien une matrice philosophique et spirituelle. On pense aux jardins des alchimistes, des poètes persans, à ces jardins divins des grands récits de création.
Les tournesols sont disséminés dans le jardin qu'ils animent de leur flamboyante prestance. Perchés au bout de leurs mâts, ils se balancent doucement, crinières d'or au vent, offrant leur nectar solaire à tous les pollinisateurs ! Je leur trouve quelque chose d'olympien. Ils évoquent des êtres mythologiques qui m'occupent en ce moment !
Justement, j'avance en trappeur, dans le sillage des interprètes contemporains, sur la piste des grands mythes, entre Homère, Hésiode, Ovide, Appolonios de Rhodes. Plus je défriche ces univers, plus je réalise à quel point l'Occident, via la Grèce, s'est ouvert une brèche civilisationnelle vraiment singulière.
Les mondes hellénistiques s'éloignent progressivement des univers holistes, monolithiques, théocratiques, saturés de sacré de l'Egypte, de la Perse et de l'Inde.
Il y a sourdement, dans le creuset de l'histoire grecque une tension progressive d'émancipation du poids de la fatalité et des dieux. Des héros et des êtres humains osent transgresser les frontières et les limites jusqu'à risquer de perturber l'ordre cosmique. Contrairement aux grands mythes indiens, ce ne sont pas les démons déviants avides de pouvoir, des asuras, qui perturbent l'ordre cosmique. Ce sont des rebelles audacieux, des personnages habités par la curiosité, qui ne peuvent se résoudre à subir passivement les lois d'un ordre cosmique écrasant. Ils questionnent et ne supportent plus le déterminisme socio-cosmique qui n'offre aux humains d'autre issue que de subir le joug impitoyable quand ce n'est pas la fantaisie cruelle des dieux.
Ces tentatives d'affranchissement restent certes exceptionnelles. Les sociétés les contiennent et les condamnent souvent, comme ce fut le cas pour Socrate. Il n'empêche que les grands récits et les tragédies, en racontant les errances, les malédictions, les audaces de certains personnages, même quand ils les jugent comme condamnables, même quand ils les citent en contre-exemples, laissent deviner, en creux, une secrète admiration.
On pressent que s'annoncent déjà les figures bibliques. Notamment Abraham qui, après une quête réflexive inédite, s'affranchira de la tutelle des dieux de sa société pour suivre l'appel improbable d'un Dieu invisible. S'annoncent aussi les destins de Joseph et de Moïse et de ces esclaves hébreux qui vont tenter l'inouïe, oser l'impensable : s'arracher à l'autorité du Pharaon et du panthéon des dieux égyptiens. Une tentative qui d'abord semble laisser incrédule et perplexe, le Pharaon biblique. La fureur qui s'ensuivra, heureusement pour les fugitifs, se fracassera face "au miracle" de la mer rouge. Ce faisant, elle entérinera
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