Journal évolutionnaire du 23/09/24 - En cheminant du Mahabharata à Homère
Mon intérêt pour l'Inde a été précoce. À 16 ans j'étais grand lecteur de la collection Spiritualités Vivantes que dirigeait Jean Herbert aux éditions Albin Michel. Parmi la constellation de mystiques indiens proposés dans cette collection, j'avais été marqué par les ouvrages de Vivekananda, Ramakrishna, Swami Ramdas, mais c'est surtout Sri Aurobindo qui attira presque magnétiquement mon attention. Jean Herbert publiait alors les correspondances de Sri Aurobindo, Satprem publiait sa biographie sur la Mère, tandis que s'annonçaient les premiers volumes de l'Agenda de Mère.
C'était également la grande période d'Arnaud Desjardin dont les livres ouvraient de nouvelles formulations, pour des horizons existentiels inédits en France. Les éditions Dangles et Dervy offraient des ouvrages intéressants sur le Yoga, dont en particulier ceux de Jacques la Maya et A. Van Lysebeth. En provenance de l'Université, Jean Filliozat, Olivier Lacombe, Jean Varenne, Madeleine Biardeau et Alain Daniélou proposaient de nouvelles ressources sur l'hindouisme.
À 17 ans je me suis retrouvé à Lyon, avec un accès à l'Université Jean-Moulin comme auditeur libre. Je fréquentais les cours d'indianologie, de sanscrit et passais des heures à la bibliothèque universitaire à dévorer les ouvrages d'Eugène Burnouf, de Sylvain Levy, d'Emile Sénart, de Louis Renou... Grâce à cet environnement indianiste, je découvrais les Purânas et le Mahabharata.
J'étais alors fervent lecteur de Sri Aurobindo et il ne m'avait pas échappé que ce dernier recommandait à ses disciples la lecture des grands classiques grecs, latins, également de la grande littérature européenne et des épopées indiennes. Contrairement à tous ses homologues spirituels hindous, Sri Aurobindo recommandait de développer son intellect, dans une approche de Yoga intégral. Il invitait constamment à élargir sa culture à l'universalité et à l'histoire du monde. Il est tout à fait désolant que des courants anti-intellectualistes primaires se soient développés dans le sillage de Satprem, ce qui a sabordé l'évolution d'Auroville que Mère avait pourtant souhaité rattacher à l'Unesco. Auroville devait être un centre pionnier de recherche sur l'évolution, la mort et les liens avec le vivant, sur les nouveaux paradigmes du monde émergent, mais au lieu de cela, la Cité Universelle est devenue un lieu de résistance à la pensée et d'immersion dans une immanence hédoniste, refusant les expressions du "mental". Tout cela, à rebours de l'enseignement de Sri Aurobindo qui préconisait une approche intégrale, et incitait ses disciples à se former dans toutes les disciplines intellectuelles.
Mon premier voyage en Inde, à 20 ans, a été éclairé par une connaissance des grandes épopées hindoues, en particulier le Mahabharata et certains Puranas comme le Srimad Bhagavatam. J'ai toujours approfondi cette connaissance de la culture indienne lors de mes voyages ultérieurs, tout en appréciant la vie locale, l'atmosphère indienne, la cuisine locale et ses currys pimentés, le côté baroque de cette société où cohabitent différentes temporalités (Moyen-âge et hypercontemporain). Bien que fasciné, je n'ai pas été aveugle à la violence et à la schizophrénie de ce monde indien pétri de paradoxes et d'insolubles contradictions.
C'est le propre d'un journal que de laisser son esprit et son clavier aller dans tous les sens, j'ai donc développé un peu plus que prévu mes liens avec l'Inde. Mais je vais revenir à une actualité plus directe, qui justement m'a orientée sur ce continent aujourd'hui.
C'est la relecture de la traduction du Mahabharata de Gilles Schaufelberger et Guy Vincent et surtout le site internet remarquable où sont consignées des centaines de références et d'articles traduits pour leur travail monumental. On y trouve un nombre extraordinaire de documents et d'études comparatives entre Homère et le Mahabharata. Un régal !
Autre point, il m'est revenu à l'esprit le travail du psychologue Paul Diel sur la mythologie grecque et biblique. J'ai retrouvé avec plaisir son interprétation lumineuse, si loin de la lourdeur que l'on trouve dans l'environnement et la postérité de Carl Gustav Jung. Comme beaucoup j'ai été fasciné à une époque par la grande et séduisante matrice théorique jungienne, son univers alchimique (je suivais avec un grand intérêt les publications d'Etienne Perrot et de Marie-Louise von Franz).
Mais comme beaucoup, j'ai pu rencontrer les limites d'une école de psychologie qui s'annonçait presque comme une voie théurgique d'éveil spirituel. Si nombre de concepts mis à jour par Jung sont pertinents, je pense à l'approche herméneutique des symboles et des mythes, d'autres éléments restent problématiques, spéculatifs, propres à un univers singulier. Heureusement Gilbert Durand et son approche de l'imaginaire à ouvert des chemins moins diffus à la théorie symbolique de Jung.
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