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Emmanuel Mounier : un inspirateur de sens pour les temps présents et à venir.



Dans la constellation des personnages majeurs qui alimentent ma réflexion et mon action depuis mon adolescence figure Emmanuel Mounier. J’ai toujours aimé ceux dont la vie réunit dans un arc de tension positive la pensée, la parole et les actes. Ceux qui ne se sont pas contentés de penser à l’abri de leur statut, de leur chaire ou de leur institution. Mais qui se sont attachés - avec une exigence intellectuelle toujours maintenue - à incarner leurs idées au plus près du réel, du sensible et du prochain.


Il est né en 1905. Il meurt subitement à 45 ans, en 1950. Ce fut une vie et une pensée de météore. Dans un temps où l’absurde et la nausée était de mise, où l’humanisme agonisait après deux guerres mondiales et le drame colonial, à lheure où s’encornaient rageusement les blocs communistes et capitalistes, Mounier qui éprouvait tous les enjeux de son temps, les impasses et les risques de l’individualisme, annonçait l’importance de la personne humaine – son intégrité, sa fragilité, sa beauté.


A ses yeux la Personne ne pouvait s’accomplir ni à l’ombre d’un Etat autoritaire, populiste ou populaire, ni dans la frénésie destructive du capitalisme de marché. Pour Mounier, la Personne ne fait sens que par sa double disposition naturelle – s’approfondir, puiser au plus profond d’elle-même - tout en éclairant ce travail intérieur par la relation à l’autre, par l’invention continue et fraternelle de communautés de sens et de vie. C’est pour ce faire qu’il appelait à la mobilisation pour une Nouvelle Renaissance.

Comme beaucoup de ceux qui apprécient son message, je pense qu'Emmanuel Mounier est intensément d’actualité. Il est temps de remettre à jour ce philosophe de l’action dont la figure vivante et inspirante a été trop rapidement réduite au « mouvement personnaliste » d’entre les deux guerres et confinée dans les rayons des philosophes du siècle dernier.


Je ne l’aurais pas connu sans la recommandation du Père Emile Granger, J’ai en effet découvert l’œuvre de Mounier lorsque j’avais 17 ans en explorant la bibliothèque du Père Emile, ce prêtre théologien qui accueillait des jeunes en difficultés de la ville de Saint-Etienne et qui eut la bonté d’ouvrir sa porte au fugueur errant, à l’esprit buissonnier que j’étais alors.


Lorsque je demandais au Père Emile de m’orienter vers des lectures « inspirantes » il me conseilla Emmanuel Mounier, Olivier Clément et Teilhard de Chardin.


Je découvrais avec surprise un philosophe de la vie totale et de l’engagement de sens qui me changeait de « la Nausée » de Sartre. Cultiver le sens de la personne sans sombrer dans l’individualisme de la cupidité et de la concurrence, mais le faire en synergie avec de nouvelles formes de communautés de vie et de partage. Cela me parlait.


Appeler à « Refaire la Renaissance », une renaissance cette fois universelle, riche de toute la diversité des langues et de cultures qui poserait l’humain et la fraternité au cœur d’un nouveau projet d’humanité. Cela me parlait aussi.


Mais Emmanuel Mounier comme je l’appris plus tard ne se contentait pas de « philosopher ». Figure intellectuelle de son temps, fondateur du philosophie de la Personne et de la revue Esprit, il avait traversé la deuxième guerre mondiale, avec un parcours de résistant, prisonnier et leader d’idées et d’action.


Il avait également, dès l’après-guerre, arpenté l’Amérique latine et l’Afrique pour rejoindre et soutenir par le combat des idées, l’avènement des peuples, la lutte contre la pauvreté, le choix de nouveaux modèles de société et le respect des cultures traditionnelles.


Il fut un des fers de lance de l’anticolonialisme, et son ouvrage d’articles sur l’Afrique interpelle le continent – nous sommes en 1947 à « l’éveil de l’Afrique Noire ». Il regorge de notes fines et pertinentes et de conseils aux intellectuels africains de son temps : « J'aimerais que beaucoup d’Africains instruits se retournent vers ces sources profondes et lointaines de l'être africain, non pour se gorger de folklore et pour buter ensuite, désorientés, sur le monde moderne, mais … pour que l'élite africaine ne soit pas une élite de déracinés… ».


L’engagement d’Emmanuel Mounier pour une économie humaine et sociale, sa dénonciation du mercantilisme et de l’injustice économique, là aussi, ne se limita pas à des déclarations.


Son idée de donner du sens à la personne en la reliant à des communautés ouvertes de projet et de vie il l’a incarné aux Murs Blancs dans la banlieue de Paris, à Châtenay-Malabry dans les Hauts-de-Seine. Acquise en commun avec plusieurs familles, la « Maison » devint un espace de vie partagé. Elle comprenait un parc et en particulier un potager qu’affectionnait particulièrement Emmanuel Mounier. Dans cette maison à la table hospitalière, vécurent, en communauté, écrivains, philosophes et leurs enfants dont Paul Ricœur et sa famille.


A l’heure où nous sommes interpellés à inventer de nouveaux modèles de vie, de collectifs respectueux des personnes et d’habitats en partage, ce type d’exemple nous interpelle.


Enfin il y a la dimension spirituelle d’Emmanuel Mounier. Ses textes d’engagement, ses déclarations, sa correspondance, sont traversés d’un souffle que l’on ne trouve que chez ceux qui œuvrent, en sincérité, à la cohérence du dire, du faire et du penser. A ceux pour lesquels la spiritualité s’éprouve dans une dynamique continue entre intériorité et engagement pour le prochain et pour le monde. « C’est (par) la qualité de notre silence intérieur que rayonnera notre activité extérieure, l’action doit naître de la surabondance du silence. » Extrait de Refaire la Renaissance.


Tous ces éléments nous invitent à relire, redécouvrir, nous inspirer de Mounier. Ceux qui œuvrent à l’idée de Renaissance de la civilisation sur des fondations plus humaines, qui s’engagent pour une économie sociale et solidaire, pour l’écologie, pour les communs….pour des liens plus équitables Nord-Sud, pour une philosophie spirituelle et sociale de l’engagement et de communauté humaine inclusive, pour une Europe ancrée dans les principes d’Humanité – tous ceux-là, si nombreux désormais sont des héritiers d’Emmanuel Mounier.


Depuis quelques années, j’ai le plaisir d’intervenir régulièrement par des conférences ou des accompagnement de voyages auprès d’une association de « seniors en mouvement ». L’Association Poursuivre, riche de 1500 membres et d’une quarantaine de groupes locaux, se définit comme une association d’éducation mutuelle, de formation, de recherche personnelle et partagée… J’admire toujours plus, à chacune de mes interventions, la passion de l’avenir qui habite ces seniors, leur goût des autres, leur curiosité du monde et leurs engagements multiples pour une société meilleure. Quelle ne fut pas mon émotion lorsque j’appris, en le découvrant, que ce Mouvement était inspiré des idées d’Emmanuel Mounier !


A l’heure où nombre d’intellectuels contemporains annoncent les décadences, quand d’autres nous appellent à la pénitence, où à célébrer le sabbat cynique du présent, il importe à présent de redécouvrir cet inspirateur, ce penseur-monde d’une nouvelle Renaissance, dont l’actualité fait sens et dont les combats et la pensée sont si proches et si fraternels des nôtres aujourd’hui.

Hassan Aslafy, Le 1 Mai 2020, Chefchaouen, Maroc

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