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Les voyageurs des Alamines


L’oasis de Oued El Yabiss était une zone temporaire d’existence créée à l’initiative de la Confrérie Beshbeshistane.

Haj Boutilimit tournait en rond dans la ruelle en cherchant vainement une place à Talibano, son dromadaire bionique. Finalement il l'attacha par la queue à un lampadaire et lui offrit un pain de fruit de jujubier sec à la coco pour occuper son attention. Le camélidé lorgna son Maître d'une œillade reconnaissante en blatérant à demi-mot. Le tradilecteur audio confirma à l'illustre Haj la pleine satisfaction de sa monture : merci à vous O mon Auguste Maître !

Puis il se dirigea à grands pas vers la tente principale quand il aperçu Abu Zahfrane en train de stationner sa mule. Abu Zahfrane s’était imposé comme un des plus éminents membre de la Confrérie. Une des raisons les plus spectaculaires était son turban vif orangé. Celui-ci possédait une charge ionique heptamétrique qui baignait son cerveau dans un champs de félicité gnostique continue…

Mais la merveille la plus singulière de notre confrère était bien sa mule. Cette dernière était un tout nouveau spécimen particulièrement versé en blagues et contrepèteries. « Ainsi je jouis doublement de mes voyages : d'un pas philosophique et d'une félicité rieuse ».

  • Qu’Allah ralentisse le débit de ton temps de vie ... Ô Illustre d’entre les berbères et d’entre les Hommes ! S'exclama Haj Boutilimit.

  • Qu’il accélère celui de nos chers invités pris dans les dédales de Marrakech !

En effet, à quelques encablures spatio-temporelles de Oued El Yabiss... La venue des autres invités poursuivis par les meutes des Réfractaires ne s'annonçait pas de tout repos !

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Nous voici donc dans notre capsule Honda à foncer entre les aléas de la circulation enfumée de Marrakech.

Mon chauffeur semble animé d’une vivacité électrique. Il cumule les audaces, freine pile poil, braque, rase, évite contourne les motos, les vélos, les taxis, les charrettes, les piétons, les policiers avec un brio jubilatoire contagieux. Il éclate de rire, fulmine, blague et m’entraine si bien dans ce rodéo verbal et mécanique que nous partageons des fous rires extravagants. - Nous sommes sur le fil du rasoir, le seul chemin qui vaille la peine d’être vécu... n’ est-ce pas mon ami ? s’exclame-t-il en me toisant de son étrange regard. En effet chacun de ses yeux broussailleux semble animé d’une expression contradictoire. Je me hâte de lui répondre afin qu’il se rassure de ma réelle destination et rapporte rapidement son attention à sa conduite de furet en chasse :

- Cher Bhaktiar Lélé, vous avez le don de nous transporter dans la surréalité au cœur de la plus prosaïque circulation. Vous êtes un accélérateur du réel. Il nous reste plus que de nous libérer de cette mobilité pneumatique pour voler par-dessus la ville.

- Oui pneumatique ! Un mot gonflé de sens qui signifie « esprit » et vient du grec pneuma me réplique-t-il. La condition pneumatique est celle de l’esprit, de l’air et de la vitesse ! Vous avez le mot de passe Al Hamdoulillah ! Je dois donc te transporter, Auguste invité à la Haute Assemblée des Archontes des Alamines.

(La Grande Horde des Archontes des Alamines est une très vieille histoire qui plonge ses racines dans le grand Schisme de la Brêche. Comme le narre toujours la vieille Yaya, la conteuse noiraude sous le grand Karité de la cour du Grand Mansa de l’éternel Empire du Mali, la Horde est constituée de fugitifs, de clochards célestes, de réfractaires, de sadhus dissidents, d’inadaptés, bref de gens de la Brêche, réunis sous la dénomination de la Grande Horde. Parmi les membres les plus distingués de cette Horde figure la Confrérie Beshbeshitane dirigée par un berbère irréductible, le Yogi Beshbesh, appelé aussi l’oncle Doukk (du verbe arabe goûter).).

Mais reprenons le récit !

Est-ce l’ivresse de la vitesse mais j’ai le sentiment que l’ocre orangé des rues s’exaspère sur notre sillage. Comme si l’œil du soleil couchant nous poursuivait de son attention. J’ai le plaisir de recroiser le café Renaissance puis nous fonçons vers Bab Doukkala, la Grande Porte, où nous attend le passeur Abu Lkarmouss toujours assis, depuis sans doute trois siècles, près de son étal de figues de barbarie, toutes de la variété bien connue des fins connaisseurs : violettes et pulpeuses.

Le freinage de la Honda de Bhaktiar Lélé, le coursier le plus rapide des Alamines est tellement bien calculé que son feu d’artifice algorythmique expansé nous dépose littéralement devant la charrette du Passeur.

  • Salam Aleikoum les gens de la Horde ! S’exclame Abu Lkarmouss en levant son tarbouche !

  • Salut à toi le grand ébrêché ! Nous voici à l’Heure dite lui répond Bhaktiar en s’éjectant de son carrosse.

Quant à moi je lutine quelques figues. En effet J’adore les figues violettes bien acidulées de mon cher Abu Lkarmouss. Je les goute comme de très gros tétons comestibles et fondants ! Ce ne sont points des fruits ordinaires.

Dans la fournée de ce jour déclinant, dans le rougeoiement de la Grande porte almoravide en arceau de Bab Doukkala, dans le tintamarre de la circulation et des marchands de nougats et de fruits entassés aux pieds de l’entrée du souk et tandis que s’élèvent de toutes parts les appels à la prière, mon esprit capte le Grand Alignement qui mêlent l’extase des sucres en mes papilles et les vrilles jubilatoire des réalités en création !

Dans la crypte de mon cœur s’élève la voix de notre Ainée. Je l’entends comme chaque fois que l'intelligibilité du Grand Alignement laisse apparaitre ses constellations de sens. Oui j'entends alors les vieux chants de Yaya, la Haute Matronnesse de nos Odyssées :

«- Tétonne toi la bouche de ces fruits d’amour mon petit ! - Pousse les moutons de tes sens dans la grande migration des Enfants du Croissant fertile et de la fente chaude ! - Vous êtes mes enfants voyageurs des Alamines: les Irréductibles de la Brêche ! »

Encore plongé dans les feux d’artifices synaptiques des nouvelles intelligibilités, j’entends brusquement un énorme bruit tonitruant, une sorte d’explosion sonore inouïe suivie de mugissements infernaux.

Nous sommes tous saisis d’une sorte d’effroi cellulaire et une pulsion collective de panique générale s’emballe. Par la bouche de Bab Doukkala surgissent des centaines de fugitifs mêlés dans une cacophonie d’Allah Akbar et sur l’avenue bondée de véhicules on entend les fracas des carrosseries… les étals des commerçants s’envolent… Une fumée noire semble s’élever au-dessus de la médina…

  • Ils arrivent me lance Bhaktiar Lélé ! Allons-y !


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